Si Perrault m’était conté

Un gentil libraire m’a offert un petit recueil de contes de Charles Perrault à l’attention de mes demi-clones. En version originale sous-titrée (c’est-à-dire avec quelques remarques explicatives sur le vocabulaire et la grammaire utilisés). Evidemment, parce que le style de langage tranche un tantinet avec le style des contes pour enfants. On a des tournures comme "ils ne purent parler de cela si secrètement qu’ils ne fussent entendus par le Petit Poucet, qui fit son compte de sortir d’affaire comme il l’avait déjà fait ; mais quoi qu’il se fût levé de bon matin…" etc, etc. Intelligible quand on est allé au lycée, mais un peu moins quand on a 4 ans. Il y a aussi des mots qui ont changé de sens depuis, et qu’il faut expliquer. Quand la future fiancée de Barbe-Bleue commence à le trouver "honnête homme", c’est qu’elle est en train de craquer pour lui, pas qu’elle admire sa probité. Plus tard, "Il faut mourir, Madame, et tout à l’heure", ça ne veut pas dire un peu plus tard. Ca veut dire tout de suite. Barbebleue Ce qui est curieux, c’est que ça n’a pas dérangé mes demi-clones. Raphaël a écouté religieusement les histoires que je lui y ai lues, et malgré quelques questions, il suit visiblement la majeure partie de l’intrigue. Par exemple, dans "Barbe-Bleue", aussitôt la clé du fameux cabinet confiée à Madame Barbe-Bleue et le mari d’icelle parti en voyage d’affaires, a fusé la question "Et alors, est-ce qu’elle est allée voir dans le cabinet?". Il s’est aussi très vite identifié aux Cavaliers qui pourfendent Barbe-Bleue à la fin, et n’a posé aucune question à ce jour sur le fait que l’un d’eux est un "dragon". Le contenu des contes change aussi pas mal. Je sais bien que les "contes du temps passé" de Perrault ont connu plusieurs versions, avant et après lui, mais il y aurait beaucoup à dire sur les différences entre sa version des histoires, et celle qui est restée. On nous cache tout. J’ai redécouvert que quand la Belle au Bois Dormant se réveille après ses cent ans de sommeil, on est à peu près à la moitié de l’histoire. Elle n’a pas un début de vie maritale facile, la Belle au Bois Dormant. Il faut voir, après, ses démêlés avec sa belle-mère qui veut lui manger ses enfants (Jour et Aurore), accommodés à la Sauce-Robert. Un autre exemple. Là où ma version du "Petit Chaperon Rouge"  (illustrée et avec des mots simples, et qui n’explique même pas pourquoi le loup ne mange pas immédiatement la petite fille dès qu’il la rencontre dans les bois, ce qui serait quand même plus logique pour un loup qui n’a pas mangé depuis trois jours), le début de l’entrevue entre le PCR et le loup déguisé en mère-grand se passe ainsi, vous savez, juste avant "Oh, comme vous avez de longs bras": chaperonrouge2 Version édulcorée : "Comment allez-vous, Grand-Mère? interrogea t’elle. -Mon enfant, je suis bien faible, et j’ai très froid ! chuchota le loup. Approche-toi un peu de moi. Le Petit Chaperon Rouge obéit et avança." Dans la version de Perrault, c’est beaucoup plus…euh, comment dire? "Le Loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : -Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi". Le Petit Chaperon Rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa Mère Grand était faite en son déshabillé, et lui dit…" Disons qu’on voit transparaître beaucoup plus nettement la morale finale et l’avertissement aux jeunes filles sur les bad boys mielleux. Il y a aussi beaucoup d’humour. Le Prince qui réveille la Belle au Bois Dormant, par exemple, se garde bien de lui dire qu’elle est habillée comme sa grand-mère (on n’y pense pas assez, mais ils ont cent ans de différence d’âge, ces tourtereaux-là). Une fois la nuit de noces venues, il est précisé qu’ "ils ne dormirent pas beaucoup, la Princesse n’en avait pas besoin". Il y a aussi l’ogre du Petit Poucet qui fait des jeux de mots, en demandant à sa femme d’ "habiller" les petits garçons qu’il croit avoir tués, alors que sa femme croit qu’il veut qu’elle les vêtisse. Je crois que mon passage préféré reste celui où Riquet à la Houppe, qui est très laid, devient le plus beau prince du monde après que sa princesse a accepté de l’épouser. riquetPerrault émet tout de suite des doutes sur la version classique de l’histoire. Il suggère plutôt que c’est la princesse qui est tombée amoureuse de lui et qui le voit plus beau qu’avant : "… [qu’elle] ne vit plus la difformité de son corps ni la laideur de son visage, que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d’un homme qui fait le gros dos, et qu’au lieu que jusqu’alors elle l’avait vu boiter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu’un certain air penché qui la charmait ; ils disent encore que ses yeux, qui étaient louches, ne lui en parurent que plus brillants, que leur dérèglement passa dans son esprit pour la marque d’un violent excès d’amour, et qu’enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de Martial et d’Héroïque". Mignon, non?

1 Comment

  1. ralphy Says:

    C’est un fait : les parents, les tontons, les grands-parents et les tatas choisissent d’éduquer les enfants sur de vagues titres, sans jamais réellement s’intéresser au contenu des histoires. Je l’avais bien perçu du temps où je travaillais sur la réalisation de jeux vidéo. On parlait alors de « jeux de grands mères », à savoir que quelle que soit la qualité du jeu, la grand-mère, qui n’y connaît rien, l’achèterait exclusivement sur son titre et les dessins et l’argumentaire figurant sur la boîte, sans jamais se documenter sur la qualité du jeu dans la presse spécialisée, par exemple, ni l’essayer elle-même. Je lis parfois une version récente de contes pour enfants, plutôt les 3-5 ans, en ce moment, les quelques fois que je m’occupe de mes neveux au coucher. Outre le Chaperon Rouge et autres Belles au Bois Dormant, dont certains emploient, va savoir pourquoi, le passé simple, ou encore un vocabulaire dont le sens de certains mots m’échappe à moi aussi, ce qui ne semble pas réellement gêner mes auditeurs, qui ont pour ainsi dire tendance à mémoriser ces comptes par coeur ou presque. De ce fait, parfois, je leur demande, livre sur les genoux, de me raconter certaines de ces histoires, images du livre en guise d’anti-sèche. Et là, les laissant divaguer à leur gré, je suis stupéfait de constater que ce qu’ils retiennent réellement de l’histoire est sans aucun rapport avec la morale que ces histoires sont sensées leur apprendre. Le coup des Trois Petits cochons, par exemple, m’avait particulièrement frappé. Pour le plus jeune de mes neveux, en effet, les cochons s’amusent tous, tout simplement, et le loup est juste le méchant récurrent qui inspire la peur. Aucune leçon n’est donc à retenir dans cette histoire, à ma grande stupeur…

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