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L’enfant do

Que le parent qui n’est pas passé par cette ruse hypocrite me jette la première pierre.

Prenons un enfant E, qui a par exemple été laissé chez ses grands-parents pendant une dizaine de jours pour cause de grèves des transports. Cette simple raison (ou tout autre tout aussi fallacieuse) lui donne la sensation que sa mère (que nous appellerons M) a une forte probabilité de l’abandonner dès qu’il a le dos tourné.

brahmsDonc, il ne faut pas s’endormir. M risque de disparaître. Pour s’assurer du contraire, il convient que M. garde E. en permanence dans les bras, ou, à l’extrême rigueur, ne s’éloigne pas du lit de plus d’une distance d.

Si la distance M-E est supérieure à d, E émettra un cri d’alarme sonore qui ne cessera qu’avec le retour de M dans un périmètre raisonnable. L’intensité acoustique du signal sonore est proportionnel à la fois à la durée de l’absence et de la distance précitée (appelée déprime, pardon, d’).

Dans un premier temps, l’exercice, connu de tout parent digne de ce nom, consiste à rester quelques instants auprès du lit, d’attendre que le moutard ferme les yeux, persuadé que ledit parent restera là toute la nuit, puis de prendre lâchement la fuite en étant le plus discret possible.

Dans mon cas, l’exercice était rendu particulièrement difficile par le fait que mon parquet est particulièrement bruyant et grince au moindre pas un peu lourd. Après un échec cuisant se traduisant par le réveil immédiat de E, j’ai cru réussir en exerçant moins de pression sur les lattes. Bien sûr, on est ridicule, à sortir de la chambre à quatre pattes ou en glissant sur les fesses, mais de toute façon, personne ne me voit, alors ho, hé, hein, bon !

libebeCa, ça marchait jusqu’à récemment.

Sauf que cette fois, E était dans un état de vigilance accrue. Malgré tout le soin apporté à la répartition du poids de M (que nous garderons confidentiel) sur la surface du parquet, E se faisait entendre dès que d’>d.

La crapule gardait les yeux ouverts. Elle ne s’endormait pas. Vraiment pas.

Je crois qu’elle a compris le truc et qu’elle montait la garde pour éviter que je m’évade.

J’ai alors eu recours à une autre technique de sioux, tenant compte de la hauteur du lit, couplée aux mesures craniennes de E, qui déterminent son champ visuel. Voilà : on ferait comme si que j’allais me mettre à dormir moi aussi, là, allongée au pied du lit. Et, ô, subtil hasard, juste assez bas pour que mon héritière ne me voie pas. Je suis donc là, mais sans qu’elle me voie.

Je sens que vous commencez à entrevoir la subtilité du scénario ainsi mis en place. Si M est là à un instant t alors qu’elle n’est pas visible, c’est qu’elle peut être encore là à un autre instant t+1 (ou t+5, ou 10, ou 75, ça m’arrangerait aussi) sans être visible non plus. Donc, elle peut dormir tranquillement, hein, puisque je suis là? Hein ? Non?

Que ne ferait-on pour initier son enfant à la physique quantique… E a aussi compris le principe, en ce sens qu’elle a procédé à quelques vérifications sonores ("Maman?" appel auquel il suffisait d’émettre un "oui?" pour qu’elle juge la situation satisfaisante).

La faille de la ruse, c’est qu’elle se relevait aussi de temps en temps pour vérifier que j’étais encore là. Et que même si je faisais habilement mine de dormir en fermant les yeux et en allongeant mon rythme respiratoire, son oeil à elle restait obstinément ouvert. Echec cuisant, donc.

Un mètre, peut-être un mètre cinquante, pour m’échapper. Du bord du lit à la porte de la chambre. Pareille distance a t’elle jamais été aussi ardue à parcourir?

De guerre lasse, la soirée a fini là où elle le voulait. Dans mon lit, où elle s’est aussitôt blottie en boule en suçant son pouce. Du moins tant que j’y restais aussi.

Je ne suis pas sortie de l’auberge….