Archive for septembre, 2007

Communication gestuelle piétonne

Ralphy racontait hier une mésaventure piétonne : il semble que les automobilistes rennais soient de nature extrêmement impatiente, pas très au courant du Code de la Route (on peut passer à un feu rouge) et pas très désireux de laisser traverser un piéton.

En écho à la "communication gestuelle concise" du conducteur saluée par Ralphy ("D’un geste, il lâche le volant, me faisant comprendre que c’était bon, qu’il n’allait pas me renverser, que je pouvais passer, qu’il avait compris que j’avais la priorité, traversant au feu vert sur un passage piéton très nettement balisé, qu’il ne comprenait pas que je le regarde avec un air d’incompréhension et de stupeur, et que j’avais intérêt à me dépêcher, parce que manifestement, il était pressé."), j’aimerais évoquer le pouvoir du langage gestuel du piéton. Cela fonctionne aussi pour les vélos. C’est même leur seul moyen d’arriver quelque part, il y a des stages pour ça.

Dans les deux cas, on peut avoir plein de droits sur le papier (vous savez, le gros bouquin qu’on étudie pour passer un examen devant des diapositives quand on veut apprendre à conduire, là, le Machintruc de la route), mais les automobilistes citadins ont tendance à privilégier plus simple : la loi du plus fort.

C’est là que le piéton ou le cycliste, tout en restant prudent (car il y a des vrais chauffards, ivre morts, psychopathes, toxicos, chauffeurs de taxi ou de bus), doit savoir déceler le bluff de l’automobiliste et y répondre à son tour, en ne se laissant pas toujours impressionner.

"Oui, je m’engage sur le passage piéton alors que ta voiture est en train d’approcher. Je sais que tu vas ralentir, car premièrement, j’ai priorité, deuxièmement si tu ne le fais pas, tu vas me renverser. Si tu me renverses, 1) tu vas perdre beaucoup plus de temps qu’en t’arrêtant pour me laisser passer, et 2) tu risques même d’abîmer ta voiture, ce serait dommage. Une voiture si chère. En plus, 3) je te raconte pas le malus sur ta police d’assurance et les points en moins sur ton permis si tu te fais choper. Et puis, 4) si tu vas en prison, ça risque de mettre en jeu le bon cours de ta carrière. Donc, je passe, c’est mon droit. Je n’accélère pas le pas, ça t’apprendra à essayer de m’impressionner comme ça". Voilà ce qu’il faut réussir à communiquer d’une attitude et parfois, d’un regard.

Ca ne marche pas toujours. Mais on gagne pas mal de temps comme ça.

Les automobilistes citadins, faut les dresser.

Allaitement au long cours, le pourquoi (niveau 3 : le « pourquoi pas »)

Lorsqu’on est sur le point de terminer son deuxième allaitement long, on a déjà eu à causer à d’innombrables personnes pleines de bonnes intentions et décidées à vous expliquer plus ou moins diplomatiquement que vous avez tort et que vous devriez arrêter.

Le fait est que si à peu près tout le monde est prêt à reconnaître les bienfaits du lait maternel pour un tout petit bébé (l’OMS conseille un allaitement maternel exclusif pendant 6 mois!) et pour sa mère, l’enfant, lorsqu’il devient plus grand, a sans doute un besoin moins marqué de continuer à être allaité.

Evidemment, un allaitement long, c’est très rare en France. Les gens n’ont pas l’habitude de voir une personne de plus de six mois qui tète encore, alors ça leur fait un drôle d’effet. Un peu comme de voir un adolescent dans un couffin.

Comme ils n’ont pas l’habitude, ça va leur paraître, comme ça, à vue de nez, choquant et donc mauvais.

Les gens qui n’ont pas l’habitude vont s’imaginer des tas de choses complètement fausses pour essayer de justifier cette impression, comme quoi c’est choquant et mauvais. CQFD.

Par exemple, ils vont décréter :

  • que votre bébé va avoir plus de mal à s’arrêter (alors que c’est le contraire : mettez vous à la place de l’enfant :  il est beaucoup plus facile de cesser quelque chose dont on n’a plus vraiment besoin),
  • que votre bébé sera plus accroché à vous, plus dépendant, n’apprendra jamais l’autonomie : là aussi, je pense qu’au contraire, cela peut favoriser l’installation de cette "sécurité de base" qui fait que l’enfant va pouvoir évoluer plus facilement par lui-même par la suite. Archifaux à mon avis, donc.
  • que cela vous fatigue,
  • que cela vous empêche de donner autre chose à manger à votre bébé, que vous retardez d’autant la diversification (vous en connaissez beaucoup, des mères qui donnent du lait de suite à leur enfant sans rien leur donner d’autre?? Et bien pour le lait maternel, c’est pareil.).
  • que cela vous empêche de reprendre votre rôle de femme/épouse et d’avoir une sexualité de femme (No comment. Mon expérience personnelle est que ça n’a rien à voir).

Les mêmes personnes ne seraient pas choquées de voir un enfant du même âge qui boit du lait au biberon ou à qui l’un de ses parents fait un câlin. Parce que c’est plus courant.

Au final, au delà d’environ un an d’allaitement, parfois moins, vous entrez directement sous le feu de proches (gynéco, famille, collègues, amies) qui raisonnent à coups de préjugés et d’idées toutes faites et vous conseillent d’arrêter, avec évidemment les meilleures intentions du monde, mais sans tenir compte du fait que vous aussi, vous avez sérieusement réfléchi à la question et tiré vos propres conclusions.

Evidemment, vous n’arriverez jamais à les convaincre. Tant pis. Tout ce que vous pouvez essayer de faire, c’est vous faire discrète pour ne pas les choquer.

Ce n’est pas une quelconque obligation morale qui m’a fait continuer l’allaitement aussi longtemps. Ni même le fait évident que mes enfants appréciaient les tétées et les réclamaient eux-mêmes.

Simplement la circonstance toute bête, toute simple, que cela ne nuit à personne et que cela a bien plus d’avantages que d’inconvénients. Lorsque j’ai commencé à allaiter, j’espèrais arriver au bout des six mois d’allaitement exclusif recommandé par l’OMS, et je rêvais de continuer à allaiter jusqu’à ce que l’enfant arrête de lui-même OU que je me lasse. Oui, car d’après ce que j’ai entendu, un enfant allaité et non sevré s’arrête de lui-même, entre 3 et 5 ans environ. Bref, on est plutôt dans le domaine de quelque chose d’agréable et non plus indispensable. Dans le domaine du "pourquoi pas?" plutôt que dans le "parce que".

Le point du "pourquoi" étant à peu près éclairci, reste à donner une idée du "comment" (à suivre, une prochaine fois, s’il me reste quelques lecteurs).

Allaitement au long cours, le pourquoi (niveau 2 : les raisons égoïstes)

Pour expliquer le pourquoi de l’allaitement long, j’ai commencé à mettre en avant le plus évident : les bienfaits pour le bébé.

Mais il y a aussi des bienfaits pour les mamans.

  • Déjà, d’un point de vue purement physique, le fait d’allaiter les premières semaines provoque des contractions utérines qui aident l’utérus à reprendre sa taille normale.
  • Ca coûte nettement moins cher,
  • Ca donne nettement moins de boulot : rien à stériliser, rien à chauffer à bonne température, rien à nettoyer, pas de barda de biberons à emporter quand on sort… Lorsque l’enfant boit la nuit, on peut même aussi se permettre une petite somnolence pour récupérer un peu (alors que cette petite facétie serait très dangereuse avec un biberon).
  • Ca aide à perdre les kilos de grossesse en douceur et sans aucun effort. Enfin, apparemment, ça varie d’une femme à l’autre, mais moi j’ai fondu tout en mangeant toutes les pâtisseries que je voulais. Epoque bénie.
  • Comme le bébé est moins souvent malade, on a moins de soucis de garde.
  • Ca apporte de merveilleux moments de calme. Je ne compte pas le nombre de fois où au lieu de me coltiner un bébé braillard, malade, fatigué, aux dents naissantes etc, etc…. j’avais à portée de main, pour ainsi dire, un remède quasi-miraculeux pour l’apaiser. Je ne compte plus le nombre de fois où mes enfants, malades comme des bêtes, ne buvaient ni ne mangeaient rien, hormis le lait maternel. C’est toujours rassurant de savoir qu’ils ont quand même "quelque chose dans le ventre"
  • En plus, on est plus sereine : le simple fait d’allaiter diffuse dans notre corps de précieuses bouffées de prolactine, très apaisante.
  • Il semble qu’il y ait un effet préventif contre l’hypertension et le cholestérol, pour la mère. Plus une diminution du risque de cancer du sein et des ovaires.
  • Cerise sur le gâteau (si j’ose dire) : lorsque vous changez votre bébé, ses selles sentent bon. Enfin, du moins, bien moins mauvais que le caca normal.

Evidemment qu’il y a des contraintes, notamment le fait qu’on ne peut pas confier son enfant très longtemps (ou alors il faut avoir un tire-lait et une organisation en béton). Evidemment qu’au début, c’est dur, assez douloureux même au tout début. Mais pour moi, pour tous ces avantages, le jeu en valait la chandelle.

Voilà pour les raisons égoïstes, donc.

Attention, il y a un niveau 3 dans mes "pourquoi"…. A votre avis, où est-ce que je veux en venir ?

Allaitement au long cours, le pourquoi (niveau 1 : les raisons altruistes)

Je récidive…. pardon à vous les nullipares, on va encore être très loin de vos préoccupations.

On va commencer par le plus facile, le plus évident, le plus couramment admis. Les portes ouvertes qu’on va enfoncer, les arguments qu’on lit partout.

Pour un tout petit bébé, les avantages du lait maternel sont très nombreux. Certes, aucun enfant ne souffrira d’être nourri au lait industriel, mais le lait maternel est par bien des aspects adapté à notre espèce et au début du développement du petit enfant. Par exemple (dites moi si je me trompe) :

  • Le lait maternel est particulièrement digeste, bien plus que le lait industriel : il se digère très vite, et ne risque pas de rendre l’enfant obèse. C’est au contraire un facteur de non-obésité de l’enfant.
  • Pas, ou très peu, d’aérophagie quand un enfant tète. Evidemment, ça veut dire qu’il n’y a pas le rituel du "petit rototo" après une tétée. Il va falloir s’y habituer.
  • Le lait est stérile (sauf dans certains cas très rares), sain, à la bonne température, et en général en quantité qui s’adapte directement aux besoins de l’enfant (sinon, on peut aussi intervenir, mais c’est une autre histoire).
  • son pH fait en sorte de zigouiller la plupart des méchantes bactéries qui veulent du mal aux intestins de l’enfant, et d’encourager le développement de celles qui sont désireuses de protéger le même petit intestin. Résultat : moins de gastros.
  • Pour peu que vous et votre bébé attrapiez la même crève, de petits anticorps, ainsi que des cellules stimulant l’immunité, vont se glisser dans votre lait pour éviter à votre bébé d’en souffrir trop gravement. Testé, approuvé et vérifié.
  • Les protéines de lait de femme, contrairement aux protéines de lait de vache, ne représentent pas de risque d’allergie pour un bébé. Au contraire, le lait maternel a des propriétés antiallergiques,
  • la composition du lait varie au fur et à mesure de la tétée : il devient plus nourrissant et plus gras en fin de tétée. Ainsi, un enfant qui a juste soif est désaltéré en début de tétée, alors que celui qui a faim tétera un peu plus longtemps pour être rassasié.
  • Plusieurs effets du lait maternel sont supposés, mais pas toujours prouvés : amélioration de l’acuité visuelle, meilleur développement cérébral, action antitumorale, meilleur développemetn psychomoteur…
  • j’en oublie sûrement plein. Plein.Et d’autres que moi en parlent très bien.

Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne suis pas une fanatique non plus. Je sais bien qu’un enfant ne se portera pas mal d’avoir été nourri au lait industriel, et je suis persuadée qu’une femme dont ce n’est pas "le truc" a tout intérêt à suivre son instinct si elle préfère donner des bib’s. 

Simplement, il y a des raisons objectives, pratiques, pour le faire, des "pour" objectifs à mettre en avant si on hésite sur la décision à prendre pour un nouveau-né.

C’est moins vrai pour la suite et c’est là que ça se complique….

(à suivre!)

La clé d’un lapsus

Lundi, début d’après-midi. J’ai un peu de mal à émerger du week-end. J’attrape dans mon sac la clé magnétique qui me sert à circuler entre les étages, afin de descendre au standard. J’arrive à l’étage voulu, passe la clé devant le voyant qui doit me le faire ouvrir. Rien ne se passe. Est-ce que je l’aurais mal passée ? Nouvel essai. Rien. C’est alors que je regarde la clé de plus près. Enfin. C’est la clé magnétique de chez moi. Elle n’est même pas de la bonne couleur.

Il y a des fois, mon inconscient n’est pas très subtil quand il veut me faire comprendre qu’il aimerait mieux être à la maison.

P.S : Merci à ma chère collègue qui a eu le bon goût d’arriver juste derrière moi pour m’ouvrir la porte.

La tierce

Par où commencer ? Comment te dire les choses en te parlant vrai, mais sans te heurter ? Tu es si jeune encore. Et pourtant, c’est important de trouver les mots justes, de t’expliquer les choses.

Viens par là mon petit, il va falloir qu’on ait une petite discussion tous les deux. Enfin, c’est surtout moi qui vais parler en fait. Toi, t’as pas intérêt à l’ouvrir parce que tu commences à me les briser sévère.

Voilà.

Je sais bien que ton papa et toi avez une relation particulière, privilégiée. Tous ces jeux que vous partagez, toutes ces photos prises ensemble, ces souvenirs que tu gardes si précieusement, ces constructions et projets de toutes sortes. Je sais que tu l’aides même parfois pour son travail malgré ton jeune âge, ne le nie pas. Que tu sers souvent de messager quand ses amis ont quelque chose à lui dire. C’est bien simple : tu as appris tout jeune à le suivre partout, tu es de presque toutes ses sorties.

Je crois qu’il est fier de toi. D’ailleurs, moi aussi je me suis habituée à toi et j’ai appris à t’apprécier.

Encore une fois, tous ces moments de bonheur, ces contacts privilégiés, je ne veux pas les remettre en cause, même si tu me perçois peut-être comme une intruse qui débarque dans ton existence et qui essaye de te piquer ta place de préféré.

Et ben voilà, en fait c’est un peu vrai : il va falloir apprendre à me laisser un peu de place. Ton papa, je ne le vois pas souvent, alors que toi, c’est presque tous les jours. Alors il faudrait que tu comprennes que parfois, il faut que tu te tiennes à l’écart pour nous laisser un peu d’intimité tous les deux, un peu d’espace. Il y a un temps pour tout. Il est bon pour l’un et pour l’autre que nous passions du temps ensemble, sans toi. Bref, il va falloir que tu nous lâches un peu la grappe.

Que tu nous accompagnes pendant les repas, passe encore : tu te tiens bien, tu es très sage. Mais je pense que tu es assez grand pour dormir tout seul, et pas au pied de notre lit.

Mince, quoi, tu ne peux pas apprendre à t’occuper un peu tout seul, avec tout ce qu’il t’a appris ? Non ?…. Non mais c’est inouï cette dépendance continuelle à un plus grand ! Pauvre tache !!  Incapable de s’occuper de soi ! A te voir, à ta tête de petit bonhomme lisse et irréprochable, on te donnerait le bon Dieu sans confession, on te prendrait pour un petit génie, mais en fait tu es un pauvre minable incapable de se distraire tout seul ! Trois baffes, oui ! …

Et bien c’est pas grave, figure-toi, si tu veux tout savoir, ça m’est complètement indifférent ce que tu en penses. On te laissera tout seul dans un coin, et tu attendras qu’on revienne te détacher du mur. Un point c’est tout. Chtalalak, bien fait.

C’est quand même pas un ordinateur portable qui va faire la loi, non ?

 

(Oui, je sais, il y a une toute petite dose de mauvaise foi dans cette note. On pourrait même dire que c’est l’hôpital qui se fiche de la charité. Et après ?…)

Polichinelle

Il y a des parents de personnes majeures, vaccinées, adultes, quoi, qui sont un peu intrusifs dans la vie de leurs enfants. Et que fais-tu par ci, et comment vont les amours par là, et tu devrais faire quelque chose pour ta culotte de cheval (pauvre Cordélia), et il serait temps de faire des enfants à ton âge, tu ne crois pas, et qu’est-ce que c’est que cette orientation professionnelle, ce n’est pas sérieux, tu ferais mieux de faire ci ou ça ? Etc. etc.

Pas les miens.

Parfois ils devinent, et je sais qu’ils devinent. Ils posent peu de questions, parfois me tendent des perches que je n’attrape pas.

Moi : "Dis Maman, Pourrais-tu garder Raphaël mercredi ? Lex prend les enfants le soir et je vais me prendre une journée. Elle : Ah, tu vas aller au sport le matin, c’est ça ? Moi : Non."

Et elle n’insiste pas.

Plus tard, j’ai déposé Raphaël chez eux depuis peu :

Moi : "Allô Papa, merci de ton message ! [blablabla] Lui (curieux) : ... Mais, j’entends du bruit, là, tu es dans un train ? Moi : Oui. (mon train habituel, mais là n’est pas la question). Lui : Ah ? Et tu vas loin ? Moi (brève hésitation. C’est quoi, loin ?) : Non".

Et il n’insiste pas.

Le soir :

Elle (après m’avoir donné des nouvelles des enfants, peut-être étourdiment) : "Tu as passé une bonne journée ? Moi : Oui. Elle : Et tu es rentrée chez toi, là ? Moi (gaiement) : Non, pas encore. Demain. Elle : … Euh bon, je t’appelle donc sur ton portable s’il y a quelque chose"

Il y a quelqu’un dans ma vie, c’est un secret de polichinelle. Et eux font presque semblant de ne pas le voir. Admirables.

Vous êtes beaucoup à avoir les mêmes ?

Rognures de temps

Mais qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi j’escarpine, pourquoi mes talons cliquètent sur le bitume, pourquoi je m’oblige à guetter mon équilibre à chaque pas, pourquoi mes oreilles guettent le grondement imminent du train ? Pourquoi le type qui promène son chien me regarde comme une bête curieuse ? Pourquoi je crains vaguement pour les petits bouts de caoutchouc qui protègent mes bouts de talons (vais-je encore enrichir mon cordonnier? Les filles qui me lisent, vous savez de quoi je parle !). Pourquoi cela arrive si souvent?

Parce que les puéricultrices de la crèche ont trois minutes de retard pour ouvrir boutique, et qu’elles ne répondent pas tout de suite à l’interphone. Feignasses ! Parce que je rate d’un poil un feu vert, et que le feu rouge qui suit est le plus long de mon trajet. Parce que j’atterris derrière un camion poubelle. Ou un type qui cherche à se garer et qui roule donc au ralenti. Détour autour du pâté de maisons. Etc.

Parce que tous ces choses et ces gens, tout normaux qu’ils sont, ont grignoté, petit à petit, le peu de marge que j’ai pour rejoindre mon train… et que je n’aime pas être en retard. Oui, ma raison le sait, ce ne sera pas la fin du monde si c’est le cas mais ça ne fait rien.

Deux pâtés de maison et demi, presque trois.

Logiquement, je vais le rater. Peut-être d’un poil, et ce sera d’autant plus frustrant. Je pourrais lâcher prise, l’enjeu est si minime. Alors pourquoi je cours ?

Parce que ça ne coûte rien d’essayer quand même, tout simplement.

Et aussi, parce que rien ne vaut ce train qui, finalement, arrive juste en même temps que moi sur le quai, et que je prends malgré tout. Fière comme tout.

Colère d’ange

Ma chérie, ça ne va pas aller du tout. On n’y croit pas une seconde. Je vois bien que tu fais des efforts, mais tu n’es tout simplement pas faite pour le rôle. Désolée, il va falloir trouver autre chose pour te faire entendre. Cette méthode là, ça n’ira jamais.

Il faudrait que la lippe boudeuse que tu sors ressemble un peu moins à une petite cerise rouge. Que tes yeux soient moins grands quand tu fronces les sourcils. Que ta main qui frappe la table rageusement, soit un peu plus qu’une minuscule menotte croquignolette qu’on sent à peine. Que tu tempêtes au lieu de babiller.

On dirait un bisounours qui se fâche. Ou alors un petit chaton, mignon comme sur les images où on les voit jouer avec une pelote de laine ou  en compagnie d’un chiot tout aussi craquant, vous voyez ? Et bien imaginez ce chaton là en train d’essayer de sortir un rugissement à faire trembler la savane. Ca ne colle pas, c’est tout. La colère ne sied pas aux poupées.

Oui, ma puce, j’aurais dû te gronder d’être en train de faire un caprice, mais je ne suis pas arrivée à retenir un rire attendri. Oh, je l’ai vu, ton regard un peu inquiet de ne pas m’impressionner. Tu cherchais quoi inventer pour faire comprendre que tu étais folle de rage, quoi faire pour que je te prenne au sérieux.

Je pense que la première règle à adopter serait de te concentrer un peu plus. De ne pas te laisser distraire lorsque ta mère t’invite à un jeu tellement régressif que c’en est pitoyable, de ne pas partir d’un rire émerveillé alors qu’il y a quinze secondes, tu étais encore furieuse. De la détermination, voire un soupçon de mépris, tu serais sur le bon chemin.

L’adolescence est encore loin, Dieu merci.