J’osais… quoi ?

C’est à Natacha que je dois de connaître le mot "Joseki"

Si j’en crois Wikipédia, un joseki désigne dans le jeu de Go une séquence de départ archiclassique, principalement en début de partie. Natacha s’amuse à appeler ainsi un échange classique de début de conversation, du genre "salut! ça va? -oui et toi?".Go

Selon les cultures, les joseki verbaux peuvent prendre beaucoup de temps. Lorsque mon ex belle-mère méditerranéenne a rencontré la nounou qui gardait à l’époque Raphaël, elles ont passé une bonne demi-heure à échanger les mêmes phrases de salutation que si elles étaient deux copines se rencontrant au marché. Elle ne terminait jamais une conversation téléphonique avec moi sans m’avoir demandé des nouvelles de mes parents, de mes frères et soeurs, de mes grands-parents, et j’en passe. Il fallait donc environ un quart d’heure pour prendre congé.

Il y a un petit moment déjà, j’avais répondu à un message sur un forum familial, essayant en substance d’avertir une femme qui allait se lancer dans la procréation assistée, de la difficulté et des incertitudes des épreuves qui l’attendaient. Il faut dire que je sortais tout juste de la lecture de "Un bébé, mais pas à tout prix", de Brigitte-Fanny Cohen, qui traite justement de ce thème et reproche notamment aux médecins de traiter les couples sans tact ni ménagement, et aussi d’occulter volontiers leurs échecs au profit de leurs réussites, donnant ainsi aux couples en mal d’enfants un espoir hors de proportion avec les statistiques réelles de succès. Là-dessus, Chrismine, que je ne connaissais pas du tout, m’a reproché avec virulence (en privé, il est vrai) de ne pas encourager davantage la personne qui demandait des conseils. Je lui ai expliqué pourquoi j’avais répondu ainsi, elle m’a assez rapidement répondu. Nous n’étions toujours pas d’accord, mais nous étions expliquées. L’échange terminé, nous avions échangé nos adresses msn.

Seulement voilà… depuis, Chrismine s’est révélée être une adepte du Joseki verbal.

On vous parle : "Salut!". Vous saluez. On vous demande "ça va ?". Vous répondez que oui. Et elle-même? Oui.

Et là, honnêtement, je ne voyais pas quoi lui répondre. C’est à peine si je la connaissais. C’est elle qui m’avait adressé la parole, et comme j’étais moi-même occupée à autre chose, j’ai trouvé bizarre qu’elle n’ait pas envie d’ajouter quelque chose au petit Joseki. Je ne lui ai donc pas répondu.

Au bout d’environ une minute, c’est elle qui m’a relancée : "Tu n’es pas là?".

Récapitulons. Elle me contactait pour que je fasse les frais de la conversation alors qu’on ne se connaissait pas…! Il fallait que le la distraie sur demande?

On va bien voir. J’ai tenté l’expérience.

Je lui racontai quelques nouvelles anodines. Je ne sais plus ce que j’ai trouvé à lui jeter en pâture : des banalités sur mon travail ou sur le temps, je crois. Cela a relancé les choses. Elle m’a lancé l’équivalent en échange. Elle m’a appris, au détour d’une allusion à sa visite de la Xème semaine, qu’elle était enceinte -ce que j’ignorais… normal, puisque j’ignorais presque tout d’elle- et j’ai cru comprendre qu’elle attendait de moi que je lui demande des nouvelles de sa grossesse.

Elle ne se souvenait de rien sur moi, ni de mon âge, ni du fait que j’avais des enfants, ni du fait que je vivais seule avec eux. Elle m’a donc fait sourire quand elle m’a demandé si je ne voulais pas des enfants, moi aussi. Ah bon, je n’avais pas envie tout de suite ? Mais quel âge j’avais ? Ah bon… mais j’avais encore le temps, m’a t’elle assuré. J’ai mis fin à ses souffrances en lui parlant de mes demi-clones déjà existants.

Au final, la conversation s’est révélée aussi creuse que prévu. Nous nous sommes limitées à notre dénominateur commun : notre paire de chromosomes X. A mes yeux, nous n’avions visiblement aucun atome crochu particulier, mais aux siens, cela suffisait à fonder un joseki prolongeable à volonté autour de son état de grossesse et de nos enfants respectifs. Pour la petite histoire, je n’ai pas échappé à une réaction type "C’est le choix du roi!!" quand j’ai dit que j’avais un garçon et une fille.

Pourquoi n’ai-je pas répondu avec plus de plaisir et de curiosité à cette personne qui demandait mon attention ? Je me sens bien dans un échange lorsqu’il est mutuel, quand les affinités font que chacun apporte quelque chose à l’autre. Là, je ne sais pas, mais quelque chose ne collait pas.

Je n’ai rien contre le "small talk", les conversations anodines. Elles ont une fonction quotidienne, permettent de faire connaissance ou de garder un contact, parfois d’en apprendre beaucoup plus sur quelqu’un que le fond de la conversation lui-même. Mais quand la mayonnaise ne prend pas au départ, elle est difficile à faire monter, surtout avec quelqu’un dont on ne connaît à peu près rien d’autre qu’un pseudo et qui ne personnalise pas son approche.

On ne peut pas plaire à tout le monde… ni aller vers tout le monde.

Et quand on tente un joseki, il vaut mieux apporter quelques pierres à poser sur le goban…

5 Comments

  1. kaliuccia Says:

    Ok, je tente un joseki, j’ai beaucoup ri. En Afrique, enfin dans l’afrique où je vivais fut un temps, on se disait bonjour, en Woloff, puis on demandait des nouvelles de toute la famille (comment va ta mère, comment va ton père) Ok, je le fais en phonétique : Anassawamam ? Anassawapap ? Tout dépendait de la réponse en fait. Si on répondait manguéférek (encore une fois en phonétique) ça voulait dire il (elle) va bien, vas y continue, demande moi encore des nouvelles des autres membres de ma famille. Par contre, si on répondait manguifi, là ça voulait dire que bon, tout le monde allait bien, on pouvait passer à l’étape suivante. M’enfin ce sont mes souvenirs d’ados hein, je n’ai peut être pas tout retenu et traduit comme il fallait 😉 Donc faudrait rajouter une règle au joseki pour couper court plus vite 😉

  2. Natacha Says:

    Mille mercis de m’avoir offert une place parmi ces pages. Moi non plus je ne sais pas enchaîner après un joseki, c’est pour ça que la plupart du temps je ne commence même pas la conversation, faute d’idée de comment la continuer ensuite. Je vois que tout le monde n’a pas ces scrupules… Et dans la série des jeux de mots sur « joseki », je propose : « José qui ? — Jo sais pas moi. »

  3. En Pleine Poire Says:

    Je connaissais pas …

    cette expression. En tout cas, dans un cas comme ça, tu n’as plus qu’à bloquer la personne de tes contacts. Si tu n’as rien à lui dire de particulier, y’a rien d’autre à faire 🙂

  4. Cinn Says:

    > Kaliuccia : Si je comprends bien il y a un mot spécifique pour dire « c’est bon, on peut couper court, tout le monde va bien » et l’autre veut dire « Continue, il y a quelqu’un qui ne va pas bien mais je ne te dis pas qui, histoire que tu continues à essayer de deviner… ça a un côté ludique en fait!! > Natacha : Ben, c’est pourtant facile ! Exemple : « Bonjour, ça va? -Bien et toi ? – Ouais, ça va super ! J’ai découvert le blog d’une nana qui écrit de la science fiction et qui sait lire le html dans texte ! – Ah bon, raconte? … » et hop, c’est parti. Toute autre nouvelle ou question fait aussi l’affaire…! > EPP : C’est ce que j’ai fait ! (Pardon Chrismine, je ne veux pas te vexer car tu n’as pas l’air méchante, mais on n’est pas faites l’une pour l’autre toi et moi!…)

  5. kaliuccia Says:

    Oui, ce doit être ça 😉

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