Du soleil au coeur

C’est une évidence : c’est difficile, avec des lardons en bas âge, d’avoir un peu de temps à soi.

L’autre jour, par exemple, j’étais invitée au mariage de ma cousine Huguette.

Le faire-part était arrivé dans ma boîte à lettres avec beaucoup de classe: papier crème, lettres cursives annonçant d’un air penché que les parents et grands-parents du marié, parés de l’intégralité de leurs titres et dignités, annonçaient le mariage de leur fils et petit fils avec Huguette, puis, quelle coïncidence, sur la page suivante, c’étaient les ascendants d’Huguette qui annonçaient les noces d’icelle avec le précédent. Autant dire qu’il n’était pas question de se pointer en jeans.

En fait, pour une fois, j’avais fait preuve de prévoyance. Enfin, presque. En réalité, l’hiver dernier, je cherchais une robe pour le cocktail annuel de Lherbe & Pluverte, et je suis tombée en arrêt devant une robe de princesse qui ne faisait pas du tout l’affaire, qui dépassait largement le budget prévu, mais qui m’a méchamment tapé dans l’oeil. Je me suis opportunément rappelée que dans six ou sept mois, j’aurais l’occasion de la mettre : c’était le prétexte qu’il me fallait pour craquer. Merci Huguette.

Pour les chaussures, j’ai aussi fait dans l’opportunisme : j’accompagnais Natacha pour un shopping, et quand elle s’est acheté des escarpins à talons hauts. Inspirée, j’ai pris les mêmes et les ai pieusement conservés jusque là.

Bref, j’avais le costume. Il ne me restait plus qu’une petite demi-heure de pomponnage intensif, et j’étais Cendrillon au bal.

Sauf que Cendrillon, elle n’était pas dérangée toutes les cinq minutes.

Cendrillon, elle avait juste à laisser sa marraine faire le boulot, transformer la citrouille en voiture, les haillons en robe, le chien en valet, et hop, le tour était joué. Cendrillon, personne ne venait la voir alors qu’elle avait un demi-trait d’eyeliner sur une demi-paupière parce que que c’est pas juuuuuste, Raphaël répète tout ce que je diiiis!. Trente secondes après, il n’y avait pas de nouveaux pleurs parce que Maman, Laura elle a touché à ton Matbouke, elle veut mettre  » Z’ai peur du noir » , et moi je veux paaas. Au moment d’appliquer sa poudre, son âme d’artiste n’aurait pas été interrompue par la nécessité de mener une enquête policière pour savoir qui a tapé qui en premier et châtier le coupable en faisant les gros yeux. Je parie qu’elle en aurait eu un peu marre. Je gage qu’elle serait arrivée au château un peu à cran.

Je crois que je n’ai eu que quatre ou cinq minutes, si on attache ensemble tous les petits bouts de seconde. Juste assez pour enfiler la robe, les chaussures, et s’appliquer à l’aveuglette des poudres capturées au hasard dans ma trousse à maquillage.

J’ai su que l’opération « Sublimation de ma beauté naturelle » avait lamentablement échoué lorsqu’à la cérémonie, mon petit frère a déclaré que j’avais l’air « explosé« .

Les gens ne savent pas reconnaître les efforts qu’on fait pour eux.