Gracieusetés

« ….De toute façon, on ne peut pas prendre nos vacances en même temps! ».

Mais c’est moi ça!… C’est de moi qu’elle parle, là, ma binôme ?

Binômette et moi, ça devrait être l’union sacrée, la symbiose parfaite. C’est un poste bicéphale où, à terme, nous devrons être quasi interchangeables, agissant de concert, nous complétant l’une l’autre dans une intouchable solidarité, nous comprenant à demi-mot dans une quasi-télépathie. Enfin, c’est l’image que ça donnait à l’entretien, peut-être que c’est encore un fantasme de DRH, comme l’esprit d’équipe ?

Donc, Binômette est au téléphone avec quelqu’un, et le ton est déjà monté. J’étais concentrée sur un travail,mais là, du coup, je tends l’oreille. Pas besoin de faire beaucoup d’efforts, d’ailleurs, car Binômette gueule de plus en plus fort.

« J’ai de l’ancienneté, ça me donne une priorité, non?... (une pause)… Courtoisie ?? J’en ai marre, moi, de cette courtoisie là. (…suivent quelques autres amabilités). Oui, je vais lui en parler ».

Et elle raccroche, pour me reprocher cet infamie, ce coup de poignard dans le dos : avoir demandé une semaine de congés cet été avant qu’elle ait posé les siens. J’aurais pu la prévenir.

Mais oui, lui réponds-je, mais je l’ai prévenue. J’ai même fait le paillasson : j’ai demandé plusieurs fois si elle savait ce qu’elle allait poser, elle m’a toujours dit qu’elle le saurait « plus tard« , sans me dire quand. Lorsque la DRH nous a relancées de manière un peu pressante pour pouvoir déterminer le planning, je lui ai reposé la question (… »plus tard« ) et lui ai annoncé expressément que j’allais demander une semaine en août, mais qu’on pourrait toujours s’arranger si les choses bougeaient pour elle puisque je n’avais encore rien réservé. J’ai même exprimé la situation à ma chef, qui a déclaré qu’il fallait bien se décider un jour. J’ai même pris exprès en dehors des périodes qu’elle aurait « peut-être » préféré.

Binômette n’a pas compris la métaphore du paillasson. C’est vrai que c’était un peu subtil comme figure de style.

Les reproches pleuvent : « Depuis quand être nouvelle donne la priorité ? Je ne crois même pas qu’on peut avoir des congés au bout de moins d’un an ici! Non mais ça va pas du tout, tu n’as pas l’esprit d’équipe, il y a plein de choses qui ne vont pas. Si tu continues comme ça,  ça va se retourner contre toi, personne n’est irremplaçable« .

Quand je lui ai demandé un exemple de mon manque d’esprit d’équipe, elle m’a reproché deux choses : 1) un truc que la personne avant moi avait fait, mais pas moi, 2) de taper parfois longuement sur mon clavier. Ici, ça ne se fait pas, ça montre un manque d’esprit d’équipe (bon, en fait, ça, elle le fait aussi). Moui.

Elle a terminé en déclarant que de toute façon, en ce moment, elle était « fragile« .  Heu, et donc ? Ah oui, j’ai compris, je ne dois pas lui tenir tête : il faut la ménager puisqu’elle est fragile. C’est bien la preuve que je suis entêtée, comme elle dit (moi, je dis « persévérante » d’habitude). Dites donc, je n’aimerais pas la voir les jours où elle se sent solide.

Mais comment je vais faire ? Je suis sensée travailler en binôme avec une femme un peu aigrie,  qui aime qu’on lui rende des comptes, et surtout, qui raisonne uniquement en termes de rapports de force (« je suis ancienne, j’ai priorité« ), et je ne sais pas, je n’aime pas fonctionner comme cela.

Je suis allée demander des explications à la DRH, qui ne comprend pas non plus.  Mais surprise et soulagement : on n’est pas chez Lherbe & Pluverte : c’est Binômette qui devrait avoir droit à une petite mise au point dans les jours qui viennent, car elle est agressive avec presque tout le monde en ce moment.

J’ai des doutes quant à la possibilité que les choses s’arrangent vraiment. Déjà, elle a demandé la même semaine de vacances que moi. Et trois autres. Ce qui veut dire qu’en pratique, il va vraisemblablement falloir que je fasse une croix sur l’idée même d’avoir des vacances cet été.

Baronne, sors de ce corps!

3 Comments

  1. Giusepe Says:

    La vache !
    Je suis complètement étranger à ce type de fonctionnement, d’organisation… bref. Ce qui m’étonne le plus, c’est le rôle du DRH dans ce genre de conflit. Cela dit, hein, je n’y connais rien, je suppose que c’est adapté à la structure, je n’ai rien à proposer pour mettre à la place !

    Je me dit juste que, pour vous, ou pour moi, en m’imaginant être à votre place, ça ne doit pas être facile de devoir en référer à un arbitre suprême pour tout ce qui concerne les rapports humains. Là ou les adultes, à la différence des enfants, sont censés se débrouiller seuls…

  2. Natacha Says:

    J’avoue que depuis le début de ces histoires de Baronne et d’environnement de travail féminin et tout, c’était un peu abstrait pour moi. Je n’avais pas l’impression d’avoir déjà rencontré ce genre de spécimen, du coup c’était un peu comme les cyborgs ou les aliens, une menace qui n’arrive jamais dans la Vraie Vie.

    Et puis hier soir je me suis souvenue de cette stagiaire, qui n’a d’ailleurs pas fait long feu dans le labo’. Maintenant j’ai la conviction intime tout au fond de moi que ça existe pour de vrai, car je l’ai rencontrée.

    Du coup maintenant j’ai une super-angoisse de tomber là dessus dans mon avenir professionnel /o\

  3. Cinn Says:

    > Giusepe : Cela ne me paraît pas juste non plus. En fait, il y a un mélange de deux choses :
    1) c’est la DRH (entre autres) qui arbitre en matière de dates de congés, donc c’est bien mon interlocutrice en l’occurrence.
    2) s’il y a une chose que j’ai apprise chez Lherbe & Pluverte, c’est qu’il ne faut jamais, au grand jamais, laisser une personne comme Baronne (ou Binômette) donner seule sa version des faits à une DRH ou à son chef. Apparemment, elle a déjà fait pression pour faire licencier une des personnes qui se sont succédées à mon poste.
    Ah oui, et j’ai appris aussi qu’il y a des gens qui préfèrent aller voir leur hiérarchie plutôt que de régler leurs problèmes directement avec moi, ce qui me semblerait effectivement bien plus simple et plus responsable. J’adore.

    > Natacha : J’ai même l’impression que c’est assez fréquent. Tremble, ou reste dans un environnement masculin…

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