Vertu forcée

Vous voulez vous pourrir la vie à peu de frais ?

Vous avez un métier humble et vous rêvez d’être un peu reconnu et de vous sentir supérieur aux autres ?

J’ai la solution. Donnez des leçons de politesse.

Il n’y a rien de plus facile que de chercher des torts aux autres. Il y en aura toujours.  Prenez n’importe quel truc facile à assimiler en savoir-vivre (c’est plus facile de se souvenir qu’il faut dire merci plutôt que, par exemple, « cravate noire » sur un carton d’invitation veut dire que les hommes porteront un smoking et les dames une robe de cocktail courte, à moins que la votre carte ne précise « Cravate noire, robe longue »), et regardez si les autres la respectent. Ne vous occupez surtout pas de savoir si vous, vous continuez à respecter toutes les autres (vous pouvez continuer à rompre par sms,ou par insulter les jeunes filles qui refusent vos avances).

Vous êtes caissière et vous vous ennuyez à votre caisse ? Prenez exemple sur Anna Sam, pour qui l’attente de la politesse du client était devenue un passe-temps, une raison de vivre, Elle était capable de dire bonjour avec insistance  à une dame, au point de devenir agressive parce que la dame tarde à lui répondre…. -et pour cause, la dame en question est sourde.  Une leçon de vie, elle appelle ça. En fait, sur son blog, l’impolitesse des clients qui passent par la caisse est un thème récurrent, comme si les caissières attendaient chaque client au tournant, comme si elles n’avaient rien d’autre à faire que de guetter si chaque passant va bien leur montrer le respect qu’elles méritent.

Certes, l’autre aura mille prétextes pour ne pas répondre à votre bonjour, nobles ou non. On est sourd, on est muet, on a l’esprit ailleurs, on a répondu mais pas assez fort, on est de mauvais poil et on n’a envie de parler à personne, on n’est pas du matin, on ne parle pas français, on est bouleversé par quelque chose de grave (la mort de votre poisson rouge, au hasard) et si on sent que si on dit un mot, on va fondre en larmes devant tout le monde, que sais-je. Qu’importe. Il est important de bien garder à l’esprit que la personne qui ne vous dit pas bonjour a voulu vous insulter personnellement, vous.

Le savoir-vivre, ça ne sert pas à d’abord à arrondir les angles et à favoriser la cohésion d’un groupe social : ça sert d’abord à s’affirmer et à régler ses problèmes d’estime de soi. Fi, donc, de l’humilité par rapport à la connaissance que l’on peut avoir de l’autre, ou la grâce de faire semblant d’ignorer les failles de l’autre (ou de lui faire remarquer que quelque chose ne va pas, mais que c’est forcément un malentendu ou une erreur involontaire. Note pour l’avenir : ne pas me fâcher toute rouge quand on essaie de me passer devant dans une file d’attente).

Tout ça, c’est toujours la même histoire de paille et de poutre.

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